Pale Slope of the Hour

© Courtesy of Kelsey Shwetz and cadet capela
© Credits photo: Thomas Marroni

Kelsey Shwetz

18 mars — 22 avril 2023

13 rue Béranger, 75003 Paris

S’il existe une riche histoire de la peinture narrative fondée sur la fiction, des Maîtres Anciens à Delacroix, les sources de ces œuvres semblent s’être taries au cours du siècle dernier. Face à cette situation, Kelsey Shwetz a néanmoins refusé de renier les effets rendus possibles par certaines configurations de personnages, d’incidents, d’humeurs, etc., choisissant plutôt de faire le tour des composantes de la narration, à la façon de pierres précieuses, pour voir ce que leurs facettes peuvent révéler, comment elles peuvent être organisées et imaginées dans des relations plus dynamiques avec leur représentation picturale.

Sa méthode est élégante dans sa simplicité. Depuis deux ans, elle travaille presque exclusivement sur des toiles dont le contenu est tiré d’un mythe de sa propre création - je suppose qu’il convient de noter qu’elle en réfère généralement comme “la fable”, soulignant l’aspect d’éducation morale légèrement désuet ainsi que le plaisir comique de ses formes élaborées et inventives de punition. Les étapes de sa narration sont, je suppose, assez évidentes, et les retrouver est un plaisir qu’il vaut mieux laisser à chaque spectateur. Considérons plutôt brièvement la manière dont ses peintures traitent ce noyau dense et allusif, afin d’éclairer une perspective qui rend accessible la broderie complexe de Pale Slope of the Hour, la première présentation personnelle de l’artiste en Europe.

Les treize œuvres qui composent cette exposition peuvent être classées en quatre catégories générales : une ouverture, un cycle complet ou, comme le préfère l’artiste, une “strophe” du mythe (6 peintures), un cycle partiel (3) et un groupe de plus petites peintures interstitielles (3). Il s’agit bien sûr d’un ordre intrinsèquement instable. Des relations tout aussi convaincantes entre les œuvres de différentes catégories émergent dès que l’ordre est articulé ; même au sein du cycle complet, l’effet global varie considérablement en fonction de l’ordre dans lequel on découvre chaque tableau, allant d’une profonde tristesse à quelque chose qui ressemble au “happy ending” sinistre d’un conte de fées. Cependant, les modulations régulières du motif et de la composition - l’artiste va et vient entre plusieurs tableaux à la fois, remplaçant et ajoutant dans un cycle littéral qui permet aux résonances d’émerger naturellement - chuchotent continuellement des connexions, des subtilités qui, lorsqu’elles sont vues, exigent une réflexion.

L’instabilité et la réflexion sont également au cœur de ses compositions. L’ouverture, Temptation, résume cette première avec une efficacité appropriée. Au niveau le plus élémentaire, la géométrie de la composition, sa perspective, est faussée avec un sens du chic impassible. Les lignes définissant le tapis, le sol, le mur et la fenêtre refusent de s’installer dans un espace rectiligne calme, préférant un zig-zag plus agréable sur le plan rythmique. (Sa pratique vivante du dessin continue à jouer un rôle plus important dans le travail). Au-dessus d’un joyeux tapis brossé pêche et citron, un Philodendron Selloum pousse depuis un pot en terre cuite et prend place sans transition dans la composition d’un vitrail représentant, semble-t-il, une scène de l’Eden. Cette étrange transition est accentuée par la distance raccourcie entre le pot et le mur à la fois impossible et harmonieuse, rendant la pièce simultanément immense et étriquée 

L’ordre d’accrochage de la galerie n’est qu’un itinéraire possible à travers ces peintures. Nous pourrions passer de Temptation à n’importe quel tableau de notre choix (tous en fait se connecteraient). Nous pourrions, par exemple, suivre la forme du vitrail jusqu’à son équivalent compositionnel dans Night, la fenêtre qui reflète l’artiste - bien que nous ayons l’impression de voir cette scène depuis sa position, l’artiste semble absente du présent de la peinture : une sorte de prémonition - alors qu’elle tend la main vers ce que nous comprenons être un petit fruit en verre. Cela pourrait nous conduire naturellement au grand paysage réjouissant Fruit to Glass, mais cela pourrait tout aussi bien attirer notre attention sur Plants to Flesh, où une figure floue apparaît dans l’obscurité sur le bord gauche du cadre. Nous pourrions également nous diriger vers Dawn’s First Light et Revenge, pour dresser un tableau plus complet de l’intérieur dans lequel ces peintures sont réalisées. 

La beauté de cette œuvre réside dans le cheminement entre la rime d’un étrange mur ondulé et d’un radiateur esquissé, le glissement des fenêtres et des miroirs, le voyage d’une bougie ou d’une coupe en verre. Pourtant, malgré l’accueil et l’indulgence que tout cela suscite, on a le sentiment qu’il serait possible de trouver la bonne perspective, une vue à partir de laquelle les couches d’histoire, de motifs, de gestes et de compositions seraient parfaitement mises en évidence. On peut supposer qu’au moins une personne a trouvé cette position et qu’elle nous invite à l’accompagner.

Phil Coldiron