© Credits photo: Thomas Marroni
Reflets dans la galerie des glaces
© Credits photo: Thomas Marroni
Dans les « Reflets dans la galerie des Glaces » de Ryan Wilde, on croise toute une équipée féminine et fantasque : une Lapine sûre de ses charmes, une Madame de Pompadour habillée pour le combat, les Trois Grâces en plein flirt… Marie Antoinette n’est pas loin et on l’imagine prenant la tête de ce charmant défilé.
Comme l’explique Ryan Wilde, elle a voulu mettre en scène « l’interprétation américaine de la beauté française, tout en excès et en humour. » Le ton est désinvolte et sans prétention. Volontairement « girly » voire « silly ». Tout comme les couleurs — du jaune criard au rose petite fille — ou les motifs de papier peint. Dans ces mises en scènes de mascarade, les visions d’innocence côtoient la douce coquetterie. Les costumes de « cuteness » s’allient aux apparences et deviennent des protections. Quant aux parties du corps de la femme, ils apparaissent morcelés, grandis ou inversés. La bouche prend la place des tétons, les seins se lovent dans les paumes des mains. Seuls les yeux s’effacent, comme s’ils étaient les seuls que l’artiste ne voulait pas nous livrer.
Car derrière ce qui semble n’être qu’une série de jeux d’enfants, Ryan Wilde laisse apparaître ses inspirations. Et, peut-être, ses revendications. En premier lieu, ses lectures d’écrits féministes. Tel l’essai iconique de la psychanalyste anglaise Joan Rivière, Womanliness as a masquerade, publié en 1929, qui renverse justement les attributs habituels de la féminité — des couleurs aux mimiques, de la douceur à la prétendue innocence — pour les changer en boucliers, puis en armes, contre la violence affichée du masculin.
Tout comme la plus célèbre pièce du château de Versailles n’est pas un simple décor pour l’artiste, mais là encore une référence de lectrice. Au Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir. En réponse à Lacan et à son « stade du miroir » où l’homme se construit face à sa propre image, Simone de Beauvoir défend, pour la femmes, l’apprentissage de soi par l’image des autres, alliées du même sexe…
Ryan Wilde ouvre donc notre regard vers une multitude de visions féminines. Femmes de pouvoir — politique ou sexuel. Capables de se fabriquer une image et d’en changer brusquement, prouvant ainsi qu’en manipulant son individualité, on peut donc manipuler la société. Et ainsi, la bouleverser.
La Lapine s’affranchit de la Playmate de Playboy — magazine pour lequel le père de Ryan Wilde a travaillé vingt ans comme illustrateur et pour lequel l’artiste éprouve une sorte de relation d’amour-haine : haine face à ce temple de l’imagerie féminine modelée et normée par le regard des hommes, amour pour les retournements possibles à tel point qu’elle a même un jour dessiné les oreilles de lapin portées par Kate Moss en
couverture.
Madame Boobhead devient la mère idéale de l’Amérique conservatrice. La Coquinette à queue de cheval porte en elle d’inavouables désirs. Les Trois Grâces passent d’un innocent batifolage à des pulsions
saphiques.
À tel point qu’on imagine Ryan Wilde, en sa galerie des Glaces, finir par se multiplier en toutes ces versions d’elle-même comme autant de reflets. Avatars et soeurs protégeant son intimité profonde pour mieux questionner toutes la féminité. Jamais unique, ni monolithique.
Après des études en école d’art, Ryan Wilde fût chapelière pendant vingt ans. Avant de revenir aux gestes premiers de sa création : peinture et sculpture. Même si les réflexes de couture et les moules en bois qu’elles utilisaient pour ses chapeaux sont désormais ceux qu’elle applique pour ses sculptures. Nous rappelant ainsi que le vêtement est l’outil idéal pour changer très vite de peau. Et, en faisant du costume un art, pour mieux bouleverser notre regard
Boris Bergmann