© Credits photo: Thomas Marroni
Flat Totems for Orgasmic Freedoms and Other Seeds
© Credits photo: Thomas Marroni
Pour sa première exposition dans le nouvel espace parisien de cadet capela, Humberto Poblete-Bustamante nous pousse à changer notre regard et à bouleverser nos attentes. Flat Totems for Orgasmic Freedoms and Other Seeds est une plongée au cœur d’une peinture instinctive, absolue et vivante.
Sur la toile, tous les mouvements — effacer, bifurquer, recouvrir — donnent vie à de nouvelles formes, tracent des chemins inédits. Il n’y a pas de projet qui précède l’acte. Seulement la lecture du moment présent, de la surface de la toile, de sa géographie. Voire même : de sa géologie intime.
De plus en plus, le geste devient sujet du tableau. Les formes disparaissent, l’expérience prend le dessus. Rien n’est préconçu, rien n’est prévu. On se libère de ces formes prédéfinies héritées d’une abstraction idéalisée. « Le cerveau est une machine mortuaire », explique Humberto Poblete-Bustamante, « il nous oblige à voir et à vouloir des formes parfaites. ». En acceptant la catastrophe, l’imperfection, le hasard du geste, Humberto Poblete-Bustamante nous libère de nos attentes formatées aussi bien par le regard carré des écrans et des filtres Instagram que des modes et des courants de l’époque. Les formes ne sont pas géométriques. Elles ne sont pas en concurrence. Elles n’ont aucun contours ou décor. La toile se change en surface plate où la peinture peut s’épanouir pleinement, telle qu’elle est. Dès lors, dans sa présence même, la peinture n’est pas condamnée à demeurer au centre : elle surgit également sur les bords, sur ces côtés habituellement délaissés. Dans les marges, la peinture devient cadre pour la peinture. Elle se change en une expérience absolue qui a lieu sur la totalité de la toile.
La peinture d’Humberto Poblete-Bustamante devient langage vital, un souffle instinctif qui se conjugue toujours au présent. À l’aide des pinceaux, d’un couteau ou de ses doigts, Humberto Poblete-Bustamante prend possession du territoire de la toile. Il laisse ses traces : des « touches » horizontales, répétées sur l’ensemble des grandes comme des plus petites toiles, carrées ou rondes. Ces touches deviennent les marques d’un dévouement absolu du peintre, d’une dévotion à son acte.
Chaque geste affirme sa présence entière, l’implication frénétique de tout son corps, brisant les cadres et les frontières habituelles. Comme dit Humberto Poblete-Bustamante : « La peinture est mon territoire. Elle me délimite ». Elle déborde sur sa vie. Mieux : elle est la vie même. Dans les formes aux nuances infinies — tâche, cercle, point… Dans les couleurs — qui s’étendent ou se contractent… Le rapport entre Humberto Poblete-Bustamante et sa peinture est sensoriel, charnel. Ses gestes ne sont jamais laborieux mais toujours instinctifs. Aucune trace de travail, mais plutôt des signes de vie. Et une certaine maîtrise qui équilibre son laisser-aller. Cette peinture « corporelle » vient de loin — Humberto Poblete-Bustamante cite l’école vénitienne, l’action painting, Pollock,… Cette lignée tactile de peintres physiques. La peinture est ce qui surgit, ce qui vient. Elle est ce qui est. Humberto Poblete-Bustamante n’influence pas le regard, ne force pas à telle ou telle interprétation. Comme avec ces phrases qui nomment les toiles sans jamais en devenir les titres descriptifs : All your oblivions are wearing daisies, All those girls are breaking bricks with a blink, The silence of the neighborhood is the song of your glory, … Le peintre se refuse à influer le regard. Il veut nous laisser libre.
Face à la peinture d’Humberto Poblete-Bustamante, on quitte notre procédure habituelle. On éprouve librement par le regard. On assiste à l’éternel commencement d’une peinture perpétuelle, toujours plus dense, toujours plus vive.
Boris Bergmann